Dans cet article, Emmanuelle Braun, formatrice et directrice de LUMEN-Formation, propose une nouvelle lecture du postpartum en l’envisageant comme un véritable processus de deuil. En intégrant le rituel comme un espace d’accueil et de transformation de ce vécu paradoxal, elle invite à repenser cette période comme une opportunité de régénération profonde pour les femmes. Elle ouvre également la possibilité de proposer de tels rituels à toute personne rencontrant une étape de transformation conséquente dans son existance.


Le postpartum : une expérience à part entière du deuil


« Le deuil est régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction venue à sa place, comme la patrie, la liberté, un idéal, etc. »
Marjorie Lombard, « Du compromis au sacrifice : le concept du deuil au fil des siècles »


Cela peut paraître contradictoire de parler de deuil lorsque l’on aborde le postpartum. Collectivement, nous ne voulons pas voir que la naissance apporte avec elle son lot de pertes. Or, que nous en ayons conscience ou non, ce paradoxe habite chacune de nos expériences de vie. La naissance d’un enfant n’est pas une exception. Ce paradoxe est l’un des fondements de notre rapport au monde.

« Vivre est une chanson dont la mort est le refrain »
Victor Hugo

Une forme d’idéalisation, au service d’un déni collectif, interdit aux femmes de rencontrer pleinement cette expérience paradoxale et de s’autoriser à dire au revoir à ce qui était pour accueillir pleinement ce qui s’ouvre devant elles. Ces injonctions entraînent des crispations où le mental tente de tordre une réalité complexe au profit d’une perfection inatteignable. Une course vers l’avant dont certaines ne se relèveront pas, épuisées par une lutte éreintante.


Mais alors, qu’est-ce qui disparaît au moment du postpartum ?


« Quand on théorise sa pratique, il y a un risque de la modéliser et de ne plus rester ouvert aux réalités qui se présentent à nous. »
Delphine Horvilleur, « Vivre avec nos morts »



La perte dépend de chaque femme, de chaque vécu, allant du désir d'enfant à l’accouchement. Il ne s’agit pas ici de définir ce qui doit être perdu, mais d’ouvrir son horizon à ce qui peut être synonyme de perte pour chacune des mères que nous accompagnons. D’un point de vue factuel et peut-être universel à toute expérience du postpartum, la perte première est celle de la grossesse, de l’attente et du désir d’enfant.

Cette perte de la fusion s’invite dans la vie de la femme comme une mise en abyme de sa propre expérience de naissance. Selon Winnicott, le passage de l’épreuve du deuil chez l’adulte dépend essentiellement de l’acceptation première de la séparation d’avec la mère dans la toute petite enfance, au moment même de ce postpartum que vit la mère elle-même. L’enfant et la mère se retrouvent alors à mener de concert ce travail d’acceptation de la perte de la fusion.

Il ne s'agit pas de pathologiser le postpartum, mais de lui rendre son entièreté. Autoriser les peurs et frustrations à s'exprimer, c'est laisser la joie et l'attachement se déployer dans toute leur envergure. Tous les postpartums ne se terminent pas en dépression, il est important de le rappeler. Le corps dispose de ressources puissantes qui accompagnent la femme dans cette évolution. Encore faut-il que les injonctions sociales, intériorisées dans les mécanismes mentaux d’adaptation, ne prennent le dessus sur cette sagesse du vivant. Dans cette perspective, offrir au corps un temps pour se relâcher revient à faciliter le retour homéostasique à l'équilibre.


Le rituel comme clé d’intégration de ce vécu paradoxal


« Les rituels apportent du sens à nos vécus et nous permettent de diriger notre intention. »
Thierry Janssen, « Inventer des rituels contemporains – Pour vivre dans un monde incertain »



Dans notre société occidentale, nous avons en quelque sorte perdu cette liberté de ritualisation. Il nous faut donc, et c’est le mouvement qui s’opère actuellement, aller nous inspirer des sociétés qui n’ont pas perdu le rapport à ces pratiques.

Le rituel rebozo, tel qu’il est conçu par les tribus amérindiennes, porte la symbolique de ce paradoxe. Le corps de la mère est libéré des crispations mentales et physiques grâce au massage ; il est ensuite nettoyé par la sudation pour être apte à s’ouvrir au renouveau ; puis, il est invité, grâce au resserrage, à une prise de contact profonde avec ce qui s’agite en lui sur le plan émotionnel et cellulaire, en amplifiant l’oscillation entre mouvements de rétractation et d’expansion.

Un rituel puissant qui permet d’inscrire dans le corps le passage, à l’image d’un livre qui se referme pour s’ouvrir sur un nouveau chapitre.

Attention ! Ici, il n’est pas question de religion, mais d’une intégration libre, pleine et entière de la dimension spirituelle d’une telle expérience. La spiritualité semble avoir besoin d'être investie au moment de cette métamorphose existentielle qui s’opère chez chaque femme devenant mère, et plus largement chez chaque être humain changeant de fonction au sein de sa communauté.


Notre engagement : rendre le rituel accessible


« Le rituel aurait pour fonction dans le collectif de fédérer autour de projets communs, d’aligner le corps social sur des valeurs communes. »
Thierry Janssen, « Inventer des rituels contemporains – Pour vivre dans un monde incertain »


C’est tout l’enjeu de proposer des rituels pour faciliter les passages. Ne dit-on pas qu’il faut tout un village pour élever un enfant ? Ne faudrait-il pas également tout un village pour accompagner un changement de vie professionnelle, la perte d’un être cher, la fin d’un projet, ou une nouvelle étape de vie ? Nous souffrons tous aujourd’hui d’un abandon du groupe face aux épreuves douloureuses. Le rituel, où la communauté est représentée par un ou plusieurs accompagnants, est une étape essentielle pour permettre à l’individu de se sentir reconnu et de s’autoriser à se reconnaître lui-même dans ce qu’il traverse.


Le rituel est un espace où l'on se donne le temps de grandir, de dire au revoir aux parts de nous qui disparaissent pour laisser place à de nouvelles.


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Emmanuelle BRAUN,

Accompagnante par le Toucher

Formatrice et directrice de LUMEN-Formation